En décembre 2024, Satya Nadella, PDG de Microsoft depuis 2014, est intervenu dans le podcast américain BG2, où il a répondu aux questions de ses deux intervieweurs pendant plus d’une heure.
Ce type d’intervention est extrêmement enrichissant pour nous, investisseurs long terme, car il offre un éclairage unique sur la vision et la stratégie des dirigeants des plus grandes entreprises mondiales.
Nous avons la chance exceptionnelle, à notre époque, de pouvoir écouter ou lire facilement les réflexions de ces leaders ainsi que des experts de renom. Chez Bourseko, nous accordons une grande importance à ce type de contenu que nous essayons de suivre au maximum.
C’est pourquoi, aujourd’hui, nous inaugurons un nouveau format dans la newsletter : une synthèse de ce type d’interventions, comme celle de Satya Nadella.
Comment Satya Nadella est devenu CEO de Microsoft
Après avoir obtenu son diplôme, Satya Nadella a rejoint Microsoft en 1992.
Parti de simple ingénieur, il a gravi les échelons jusqu’à devenir CEO en 2014, après avoir joué un rôle clé dans le lancement de l’offre Cloud de Microsoft, Azure.
Quand Steve Ballmer a annoncé sa retraite à l’été 2013, un comité a été formé pour désigner son successeur. Satya Nadella s’est porté candidat et a rédigé un mémo de 10 pages pour défendre sa vision. De ce que l’on comprend, c’était une rumeur qu’il a confirmée dans ce podcast.
Dans ce mémo, il décrivait un virage stratégique majeur pour Microsoft : construire une infrastructure solide permettant de développer des services accessibles à distance, adaptés aux besoins variés des clients. Cette vision a donné naissance à Azure, Dynamics, Microsoft 365, et même dans le gaming.
Nadella y annonçait également que ce nouveau modèle transformerait Microsoft en bien plus qu’une entreprise de logiciels. Cela impliquerait une baisse de la marge brute, mais au profit d’un marché adressable infiniment plus vaste.
Cette vision a convaincu le comité, qui l’a nommé CEO. Depuis, il est souvent cité comme l’un des meilleurs PDG de la tech, si ce n’est le meilleur.
La rétrospective sur l’histoire de Microsoft selon Satya Nadella
Il a profité de ce passage pour revenir sur les grands virages qu’a connus Microsoft au fil des années, avec des réussites mais aussi des ratés :
Durant les années 90, Microsoft a anticipé avec succès la révolution Internet en misant sur les navigateurs web. Cette stratégie leur a permis de dominer le marché avec Internet Explorer, jusqu’à l’arrivée de Chrome autour de 2010.
En revanche, à la fin des années 90, l’entreprise a sous-estimé l’importance des moteurs de recherche, laissant le champ libre à Yahoo, puis surtout à Google, qui a su s’imposer rapidement comme leader.
Dans les années 2000, Microsoft a perdu la bataille des systèmes d’exploitation pour mobiles, laissant Apple et Google établir un duopole sur ce marché stratégique.
Sur le cloud, bien que l’entreprise ait pris du retard, Microsoft a su s’imposer comme l’un des grands gagnants de cette industrie. Cela malgré le scepticisme initial, où beaucoup pensaient que le Cloud serait un marché de type “winner takes all” dominé par un seul acteur, en l’occurence Amazon.
Enfin, sur la rupture technologique actuelle qu’est l’intelligence artificielle, Microsoft semble bien positionné pour capturer une part significative de ce marché en pleine expansion.
Les raisons de son succès en tant que CEO
Les interviewers du podcast lui ont demandé les raisons qui expliquent selon lui son succès en tant que CEO.
Selon lui, les principales raisons de sa réussite reposent sur deux éléments clés :
Comprendre où Microsoft peut offrir une proposition de valeur forte, notamment dans des secteurs stratégiques comme le cloud, l’IA ou encore le CRM. Cette capacité à identifier les bons marchés a permis à l’entreprise de trouver de nouveaux relais de croissance.
Allier une vision top-down avec une approche bottom-up. En d’autres termes, il a su créer une culture où le top management reste à l’écoute des retours du terrain tout en maintenant l’efficacité organisationnelle d’une structure verticale.
Un point qui m’a marqué. Il a mentionné avoir lu Mindset: The New Psychology of Success de Carol Dweck avant de devenir CEO. Ce livre, qui explore l’importance d’un état d’esprit en constante évolution, a eu un impact significatif sur sa démarche de refonte de la culture d’entreprise chez Microsoft.
Qu’est ce qui a poussé Microsoft à investir dans OpenAI en 2019
Avec le recul, l’investissement de Microsoft dans OpenAI est l’un des meilleurs coups réalisés sous la direction de Satya Nadella. Lors du podcast, les interviewers ont demandé à Satya les raisons qui l’ont poussé à prendre cette décision en 2019.
Il a cité 3 raisons principales :
- La conviction que le digital n’est qu’une schématisation de la donnée, et que l’IA représente la prochaine grande étape. Cette vision lui a été transmise par Bill Gates.
- Le regret d’avoir laissé échapper DeepMind, racheté par Google en 2014, une opportunité qui aurait pu changer le jeu pour Microsoft.
- Le mémo de Dario Amodei, alors directeur de la recherche chez OpenAI, qui a convaincu Satya de l’importance stratégique de cet investissement. Ironie du sort, Dario quittera OpenAI en 2019 après un désaccord avec la direction, notamment Sam Altman, sur les projets menés avec Microsoft. En 2021, il co-fondera avec sa sœur Anthropic, la société à l’origine de Claude, principal concurrent de ChatGPT.
Que pense Satya de la course à l’IA ?
Aujourd’hui, l’importance stratégique de l’IA est claire pour tous. Une course s’est engagée entre les grandes entreprises technologiques pour capter le maximum de parts d’un marché gigantesque et encore en pleine définition.
Satya Nadella a partage ses convictions sur l’avenir de ce marché :
Il sera très concurrentiel. Contrairement à ce que certains peuvent penser, il ne croit pas que l’IA deviendra un marché de type “winner takes all”. Peut-être que certains segments spécifiques connaîtront une forte concentration, mais ce ne sera pas le cas pour les hyperscalers. Les besoins localisés et spécifiques des entreprises empêcheront une trop grande domination d’un seul acteur.
Les modèles d’IA seront multiples, chacun avec ses forces et ses limites. Cette diversité sera un levier essentiel pour répondre à des besoins variés et complexes.
Les applications constitueront la principale couche où la valeur sera générée. Selon lui, c’est là que se jouera l’effet de réseau, avec un potentiel énorme pour capturer une part significative de la valeur générée par l’IA.
Les moteurs de recherche à l’ère de l’IA
Comme évoqué précédemment, Microsoft a manqué le virage stratégique des moteurs de recherche et reste aujourd’hui largement distancé par Google. Ce dernier conserve un avantage considérable grâce à sa distribution sur Apple et, évidemment, sur Android.
Le mobile étant devenu le principal canal d’utilisation des moteurs de recherche, cette position crée une barrière à l’entrée particulièrement difficile à surmonter pour Microsoft.
Sur l’avenir des moteurs de recherche, Satya Nadella partage une vision basée sur ses habitudes de consommation personnelle. Pour naviguer sur le web ou accéder à un site spécifique, il pense que le moteur de recherche continuera d’être la porte d’entrée principale.
Cependant, pour des tâches tels que trouver une information spécifique ou répondre à une demande commerciale (réserver un billet d’avion, acheter des vêtements, souscrire à un abonnement), les agents d’IA tels que Copilot pourraient prendre le relai.
Selon Satya, dès le moment où les agents comme Copilot pourront répondre à des demandes marchandes, c’est là que la transformation réelle du marché aura lieu (c’est l’information la plus importante de ce podcast selon moi).
Le futur des agents IA
L’avenir des agents IA est encore en pleine construction, et Satya Nadella distingue deux segments : les agents destinés aux entreprises et ceux destinés aux particuliers.
Du côté des entreprises, les agents IA avancés existent déjà et continuent de se perfectionner.
En revanche, pour les particuliers, le développement est plus complexe en raison de deux freins majeurs : le partage de la valeur et les problématiques liées à la cybersécurité et à l’utilisation des données personnelles.
Par exemple, permettre à une IA de lire nos mails et de répondre à 90% d’entre eux pose des questions fondamentales en termes de confidentialité.
Pour illustrer ces enjeux, ils ont pris l’exemple d’une demande de réservation pour un séjour de deux jours à Rome avec Copilot. Pour être totalement autonome, un agent IA doit accéder à de multiples bases de données (par exemple, celles de Booking ou des compagnies aériennes), ce qui implique que ces plateformes acceptent de partager leurs données.
Cependant, cela remet en question une partie de leur business model. Il faut donc qu’un nouveau business model se crée pour que les agents IA se démocratisent.
Malgré ces défis, Satya estime que les agents IA entièrement autonomes pour les particuliers pourraient commencer à émerger d’ici 1 à 2 ans.
Il pense également que Microsoft possède un avantage stratégique avec son positionnement sur un univers ouvert, en opposition aux écosystèmes fermés que privilégient des acteurs comme Google ou Apple (surtout Apple, connu pour son contrôle strict).
Conclusion
Satya a également souligné que, en termes de capacité, Microsoft n’a pas de contraintes liées à l’approvisionnement en GPU. De façon plus générale, il estime même que le problème de capacité devrait être complètement résolu à partir de la deuxième moitié de 2025.
Pour conclure, ce podcast était particulièrement riche en enseignements. Il est toujours fascinant de constater à quel point Internet nous offre un accès direct aux réflexions des CEO des entreprises les plus influentes au monde, gratuitement et depuis n’importe où.